La lutte pour les droits des travailleurs·ses handicapé·es est encore devant nous
Cécile Morin, Lili Guigueno et Elena Chamorro, Contretemps, mars 2024
Ces trois militantes anti-validistes proposent une analyse critique d’une position prise récemment par l’Union Fédérale d’Action sociale de la CGT à propos des ESAT (Établissements et services d’aide par le travail), posant la question des droits des travailleurs·ses handicapé·es.
Article en ligne sur le site de la revue Contretemps
Le 21 février, l’Union Fédérale d’Action sociale de la CGT émettait un communiqué de presse relatif aux travailleurs handicapés usagers d’ESAT (Établissements d’Aide par le travail) pour exprimer sa « préoccupation » quant à la possibilité que « ces individus» (sic) se voient attribuer « en partie le statut de salariés ».
En effet, comme le rappelle ce communiqué, à l’heure actuelle ces travailleurs ont le statut d’usagers et dépendent du Code de l’Action Sociale et des Familles et non pas du Code du Travail, à l’exception des normes relatives à la santé et à la sécurité. Sous couvert d’action sociale, le travail de ces ouvrières et ouvriers est considéré non pas comme un moyen d’obtenir un revenu décent comme pour n’importe quel travailleur valide, mais comme une « aide » pour laquelle, en leur qualité d’« usagers », ils ne perçoivent pas un salaire mais une rémunération complémentaire à l’Allocation Adulte Handicapé. Cette rémunération équivalait en moyenne à 715 € mensuels net pour 35 heures de travail hebdomadaire en 2015 d’après un rapport rendu au Sénat.
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La privation d’un salaire minimum, l’absence de cotisation à l’assurance chômage et d’indemnités de licenciement, des durées de contrat réduites à un an renouvelable condamnent donc les travailleurs d’ESAT à la précarité durant toute leur vie active. Une fois qu’ils atteignent l’âge de la retraite, la plupart d’entre elles et eux dépendent de l’allocation de solidarité aux personnes âgées[3]. Et l’absence de contrat de travail, de conventions collectives, de la possibilité de se pourvoir aux prud’hommes qu’implique la condition d’usager d’ESAT leur ôte tout moyen de s’organiser collectivement pour défendre leurs droits en tant que travailleurs.
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Dès lors, on manque de s’étrangler quand on lit dans un communiqué signé par une Union fédérale de la CGT qu’obtenir un salaire et des droits du travail nuirait à « l’épanouissement personnel et professionnel » des travailleurs. Les camarades handicapéEs syndiquéEs à la CGT (et les autres) apprécieront de savoir qu’aux yeux de la Fédération Santé et Action Sociale, jouir d’un salaire et de droits du travail égaux à ceux des travailleurs valides est superfétatoire lorsqu’on a un handicap parce cela serait incompatible avec un « dispositif d’accompagnement ».
Nous rappellerons que la lutte des ouvrières et ouvriers des ESAT pour obtenir un salaire et des droits du travail est ancienne. Des mobilisations étaient menées déjà en ce sens dans les années 1970 dans ce qui s’appelait alors des CAT. Ces dernières années, on a vu des travailleuses et travailleurs en ESAT s’organiser pour contester leurs conditions de travail et leur subordination à l’institution malgré les risques élevés de représailles, alors que des collectifs anti-validistes portaient la revendication d’égalité des droits dans l’espace public.
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Il est utile de rappeler, enfin, que si c’est la reconnaissance partielle du statut de salarié que les pouvoirs publics visent, ils seront toutefois loin du compte. En effet, ceux-ci n’ont pas mis ce projet à l’agenda politique dans le cadre de la fumeuse « société inclusive » mais parce que des rapports de force les y contraignent aujourd’hui, sous la pression des militantEs handicapéEs et au regard des obligations de la France en matière de droit européen et international.
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