Déconstruire les préjugés et les stéréotypes à l’École
Intervention de Philippe Watrelot, juin 2023
Ce texte est né d’une commande. Quand la FCPE, m’a demandé d’intervenir à son congrès du 10 juin 2023 sur cette question du rôle des préjugés et stéréotypes à l’École et la manière de les combattre, j’ai évidemment accepté. Car ce sujet est au croisement de mon enseignement de sciences sociales, et de mon engagement militant. Il résonne aussi, fortement, avec mon histoire personnelle…
Texte intégral sur le blog de l’auteur et ci-dessous
Des préjugés, des stéréotypes, nous en avons plein… Ils sont à l’origine, du sexisme, du racisme, du mépris de classe, de la difficulté à débattre, de la stigmatisation et de bien d’autres maux de notre société.
L’École ne fait pas exception. Les enseignants, les élèves, les parents sont tous confrontés à ces idées toutes faites qui peuvent biaiser les choix et les comportements. Parce que l’École est un lieu d’éducation et d’acquisition du savoir, sa fonction est aussi de les déconstruire pour pouvoir les dépasser. L’enjeu est de sortir des déterminismes et des assignations pour construire un système éducatif au climat scolaire apaisé et permettre l’émancipation.
Mais plutôt que de théoriser et manipuler des grands principes, commençons par donner de la chair (et des larmes) à ce propos…
Il y a 50 ans
Durant l’année 1972-1973, je suis en troisième au collège Paul Bert à Savigny sur Orge. A l’époque, les enfants d’ouvriers ne sont pas très nombreux à poursuivre après le brevet des collèges. Mon père est tôlier-chaudronnier, il répare les autocars accidentés pour Air France. Ma mère est dactylo comme on dit à l’époque. Doté d’une assez bonne mémoire et de quelques « facilités », je ne suis pourtant pas à l’aise à l’école. Je sens qu’elle n’est pas faite pour moi et que la culture qui y est proposée est trop éloignée de la mienne. Même si la plupart sont gentils et bienveillants, je sens bien que les enseignants de ce collège ignorent, voire méprisent, la culture populaire dont je suis issu. De cette période je garde un syndrome de l’imposteur qui continue encore aujourd’hui à m’interpeller régulièrement.
Parmi les enseignants, il y a le prof de maths. Depuis le début de l’année, il m’a pris en grippe ou plutôt il m’a catalogué. Je ne suis pas « au niveau » et comme il m’a collé cette étiquette et que je suis un petit garçon obéissant, j’ai tout fait pour répondre à cette attente. Après le deuxième trimestre, il a convoqué mes parents pour leur dire que j’étais un peu « limité » ( ! ) et que vu mon milieu social il valait mieux renoncer aux études longues : « un petit CAP, ce sera déjà pas mal… , et avec un peu de chance, il pourra porter une blouse blanche plutôt qu’un bleu…». Evoquer ces paroles, 50 ans après, provoque toujours en moi de la colère…
Heureusement, les choses ne se sont pas passées ainsi et me voici aujourd’hui avec le parcours qui est le mien. Et peut être (et même sûrement) que mon militantisme pédagogique et ma volonté de lutter contre les inégalités et les déterminismes sociaux est née à ce moment là… L’indignation est un moteur de l’engagement.
Avec cette anecdote personnelle, je ne fais que vous parler de stéréotypes, préjugés et aussi de stigmatisation et de discrimination. Et ceux ci concernent tout le monde (enseignants, élèves, parents,…) et ont plusieurs effets : dévalorisation, intériorisation, effet Golem, biais de confirmation et effet de stéréotypie dans l’évaluation, choix d’orientation biaisé, etc
Préjugés, stéréotypes, stigmatisation et discrimination
Tous ces mots sont très voisins et interagissent.
Un préjugé est un jugement préconçu, en l’absence d’informations suffisantes, sur quelqu’un ou sur quelque chose, qu’il soit favorable ou défavorable. C’est une appréciation, une opinion adoptée sans examen, sans démonstration, que l’on se fait par avance, en fonction, des apparences, de critères personnels ou des dispositions que l’on a à l’égard de cette personne ou de cette chose. Les préjugés sont le résultat d’une socialisation et constituent un élément de la « culture » (au sens sociologique) d’un groupe ou d’une société.
Le concept de stéréotype est assez voisin. Il a été introduit par le politiste américain Walter Lippman dans son ouvrage « L’Opinion politique » (1922) pour qualifier des « images mentales » résistant à tout changement ou à toute remise en cause. Les stéréotypes sont donc des représentations sociales standardisées qui catégorisent de manière rigide et persistance tel ou tel groupe humain. Ils propose une grille de lecture simplificatrice, basée sur des a priori. On pourrait aussi parler d’étiquetage ou de stigmatisation pour reprendre le vocabulaire de la sociologie
Les stéréotypes qui se réfèrent aux caractéristiques ethniques ou culturelles des étrangers alimentent des attitudes racistes et xénophobes à l’opposé des idées universalistes. Mais il y a aussi des stéréotypes liés au genre ou au milieu social comme on vient de le voir. Ils contribuent à des phénomènes de discrimination, c’est-à-dire à un traitement différencié et un accès inégal à certaines ressources et opportunités
Les préjugés envers certains groupes apportent systématiquement une distorsion du jugement lors d’une prise de décision. Si on se réfère à la psychologie sociale, certains biais cognitifs contribuent au développement ou au renforcement des préjugés, entretenant ainsi un cercle vicieux :
- le biais de confirmation d’hypothèse : on privilégie les informations qui confortent des préjugés;
- le problème de l’induction : les risques de la généralisation;
- l’effet de primauté : influence de la première information perçue sur l’impression générale;
- le biais de négativité : informations négatives davantage prises en compte que les positives;
- l’erreur ultime d’attribution : favoriser systématiquement son groupe d’appartenance lors de l’attribution causale, par rapport à un autre groupe.
Les préjugés sont aussi des prophéties auto-réalisatrices (self full filling prophecy) qu’il est difficile de déjouer. D’autant plus quand, comme on l’a vu dans mon exemple personnel et comme l’ont bien montré les sociologues de la déviance, il y a interaction puisque le stigmatisé va se conformer au stigmate.
Les préjugés, on en a tous…
Il n’y aurait pas d’un côté ceux qui sont libres de toute influence et de l’autre ceux qui en seraient victimes. Tout le monde est influencé par des préjugés : les enseignants, les élèves et leurs familles.
• Pour les enseignants, il faut rappeler que l’enseignement est d’abord une relation. C’est un phénomène délicat dont tous les professeurs peuvent témoigner. J’ai coutume de dire que « la classe » n’existe pas mais qu’il y a une addition d’individus avec leurs spécificités. Mais il n’en est pas moins vrai que l’image initiale renvoyée par une classe (et inversement du prof) peut influencer le comportement en retour.
Dans la relation pédagogique avec les élèves, les travaux de la psychologie ont montré que ce que projette l’enseignant est déterminant
L’effet Pygmalion est aujourd’hui assez bien connu. L’image positive que l’on va avoir d’un élève ou d’une classe va influencer positivement son action. Je résume souvent ce phénomène par cette formule : croire en la réussite est le premier pas vers la réussite. A l’inverse, l’effet Golem consiste à conditionner un individu avec des attentes négatives provoquant une diminution de son estime de soi, de son sentiment d’efficacité personnelle et de sa performance. Les professeurs ne sont pas en dehors de la société et projettent aussi des stéréotypes sur les élèves en fonction de leur genre et de leur origine sociale. Cela a aussi un impact sur les conseils et décisions en matière d’orientation qu’ils peuvent délivrer. Nous y reviendrons
• On pourrait se dire que les préjugés des élèves et de leurs familles sont les mêmes. Mais il faut tenir compte de la culture et des normes sociales des adolescents qui peuvent avoir un effet désastreux dans certains collèges à l’égard des “premiers de la classe” ou de ceux qui sont « non conformes » (grossophobie, homophobie,…) Ceux ci sont alors victimisés et harcelés. L’actualité dramatique des suicides d’adolescents liés au harcèlement est là pour nous le rappeler
• Quant aux parents, il y a plusieurs dimensions. D’abord, selon le passé scolaire et l’origine sociale des parents, il peut y avoir un préjugé négatif vis-à-vis de l’École. Tous les travaux montrent que la réussite des enfants, et notamment ceux dont l’origine sociale est modeste, dépend de l’image positive de l’École que peuvent avoir les parents. C’est l’importance des “alliances éducatives” qui permettent de lever les “méfiances réciproques”. Il y a un vrai travail à faire aussi du côté des enseignants pour mieux accueillir les parents et notamment d’origine modeste comme nous le rappellent les travaux d’ATD Quart Monde.
L’autre dimension, c’est celle de l’orientation. « C’est trop cher”, “c’est pas pour nous” “je préfère assurer avec un petit BTS avant de voir si je suis capable d’aller plus loin” sont des phrases que j’aie entendues durant toutes les années où j’ai été prof principal ! Il y a en effet une ambition différentielle selon les milieux sociaux. Celle ci ne tient pas qu’à des questions financières mais aussi à une représentation et pas mal de préjugés sur les coûts et des avantages de chaque orientation. Quoi qu’il en soit des études ont montré que lorsqu’il y avait une vraie mixité sociale, les ambitions des plus modestes étaient plus élevées car ils étaient confrontés à d’autres horizons
Les étiquettes sont dures à décoller
Les stéréotypes peuvent influencer les attentes des enseignants à l’égard des élèves. C’est l’exemple de l’effet Pygmalion et de l’effet Golem (qui sont des formes de prophéties autoréalisatrices). On retrouve cela aussi dans les biais bien documentés de la docimologie qui étudie les biais de l’évaluation: effet de stéréotypie, (maintien du jugement), effet de halo (les informations données sur l’élève influencent la notation).
L’expérience classique donnée dans les formations que je délivrais sur ce sujet est simple. Vous donnez le même paquet de copies à deux groupes de correcteurs. Au premier groupe, vous indiquez que les élèves sont plutôt d’un bon niveau et issus d’un milieu favorisé. Au deuxième, l’information est que les élèves sont plutôt faibles et issus de milieu défavorisés. Le premier groupe obtient une moyenne supérieure de deux points.
Vous avez déjà rempli une « fiche de renseignement » au début de l’année où on vous demandait d’indiquer la profession des parents ? Lycéen, je détestais cela ! Le sociologue Pierre Merle dans une de ses premières recherches avait très bien montré comment cela colle une « étiquette » et influence le comportement et la notation.
Les préjugés peuvent aussi partir d’une « bonne intention » : « ces pauvres enfants issus de l’immigration, il faut tenir compte de leurs difficultés et de leur « culture »…». Cela peut conduire à renforcer l’essentialisation des différences et même le « séparatisme » et à réduire les exigences. Au nom d’une discrimination positive mal comprise, on peut aboutir à une rupture d’égalité…
Le préjugé peut conduire ainsi à la discrimination. Tout est dans la nuance et dans la manière dont on place le curseur. Il ne s’agit pas d’être totalement indifférent aux différences dans uns sorte d’égalitarisme borné mais de ne pas non plus renforcer la stigmatisation. Comme l’écrivait Philippe Meirieu “Je ne respecte pas les différences, j’en tiens compte”.
Les stéréotypes les plus durables sont ceux qu’on a intériorisés !
Les élèves eux-mêmes peuvent intérioriser les stéréotypes et développer des « autostéréotypes » négatifs sur leurs capacités académiques en raison de leur origine ethnique, de leur genre, de leur statut socioéconomique, etc. Cette intégration du stigmate peu entraver leur confiance en eux et leurs performances scolaires.
Les économistes Esther Duflo et Abhijit Banerjee dans Repenser la pauvreté (Seuil, 2012) évoquent la « menace des stéréotypes ». Un exemple est particulièrement parlant. Deux chercheures de la Banque mondiale ont organisé un concours de résolution de labyrinthes entre enfants de basse et de haute caste (officiellement abolies depuis 1949) en Uttar Pradesh (Inde). Elles ont découvert que les enfants de basse caste se défendent bien contre ceux de haute caste tant que la caste n’est pas mise en avant mais dès qu’on leur rappelle leur infériorité de caste et le fait qu’ils affrontent des enfants de haute caste, ils s’en tirent beaucoup moins bien. Comment dit-on « syndrome de l’imposteur » en hindi ?
Les stéréotypes agissent auss dans les préférences scolaires des élèves français, dans leur performance et leur estime de soi, selon le genre. Comme le confirme une note récente de la DEPP, si les filles se distinguent par un plus fort investissement en classe, elles se déclarent moins confiantes que les garçons dans leurs performances aux évaluations et notamment en mathématiques. Y a t-il un gène des maths ? Bien évidemment non. Mais le produit d’une socialisation qui conduit malgré les efforts récents à constater, comme le montrent plusieurs enquêtes que les garçons dès le primaire, ont tendance à valoriser les cours de mathématiques, et d’éducation physique et sportive, alors que les filles valorisent les cours de français la lecture et l’expression écrite.
Une étude de 2009 comparait les résultats en mathématiques des élèves à un test standardisé et aux notes attribuées par l’enseignant. Les résultats montraient que les garçons performants au test standardisé sont surévalués par l’enseignant et qu’à l’inverse, les filles performantes sont sous-évaluées. Ces biais alimentent la confiance des garçons dans leurs capacités en mathématiques et sapent la confiance des filles, qui hésitent à s’engager dans des formations scientifiques.
Les « goûts » (littéraires ou scientifiques) ne sont qu’une construction sociale. Nos choix d’orientation sont surtout influencés par notre perception de ce que l’on est capable d’accomplir (efficacité personnelle) et de ce que l’on va en retirer (attentes de résultats). À compétence égale, les femmes ont généralement un plus faible sentiment d’efficacité personnelle en ce qui concerne les sciences et techniques que les hommes.
Il n’est pas inutile de rappeler que cela se répercute ensuite sur l’accès à l’emploi et les inégalités salariales. Les postes les mieux rémunérés sont ceux où les femmes sont minoritaires.
Conscientiser !
C’est une de mes obsessions, les enseignants ont une très faible culture en matière de sociologie et de psychologie sociale. Cela les rend très perméables à l’idéologie du “don” et à sur-interpréter le “mérite” en négligeant le poids des conditions matérielles d’apprentissage et des déterminismes sociaux.
Toutes ces approches , tout comme les connaissances en docimologie ; ça devraient être renforcée dans la formation initiale et continue. Tout le monde n’a pas la chance d’être prof de SES !
Pour déconstruire, il faut donc passer par une phase de conscientisation et une éducation aux sciences sociales. C’est valable aussi pour les élèves. Leur donner des notions de sociologie et de psychologie sociale peut se faire très jeune. En éduquant les élèves sur la nature des préjugés et des stéréotypes, ils peuvent prendre conscience de leurs propres croyances et attitudes préconçues. Cela favorise une réflexion critique et encourage les élèves à remettre en question leurs jugements hâtifs. C’est ce que permettent aussi les discussions à visée philosophique ou encore les travaux récents pour vulgariser les sciences sociales au cycle 3. Rappelons nous aussi des regrettés « ABC de l’Égalité » qu’il serait bon de relancer.
Les enseignants jouent un rôle clé en tant que modèles et facilitateurs dans la déconstruction des préjugés. En identifiant et en corrigeant les comportements discriminatoires, en fournissant et utilisant des ressources éducatives adaptées et en créant un environnement sûr, ils peuvent favoriser un climat scolaire apaisé et inclusif. Au delà, c’est tout le personnel éducatif qui est concerné et en particulier les CPE qui jouent un rôle essentiel.. Il faut aussi se saisir des structures existantes tels que le Comité d’éducation à la santé et la citoyenneté et à l’environnement, la maison des lycées ou encore les différentes dimensions du parcours citoyen et de la démocratie lycéenne. J’ai le souvenir de séances de « théâtre forum » dans « mon » lycée sur les relations Filles/ Garçons ou des animations de SOS-Homophobie, qui pouvaient avoir un réel impact.
A plusieurs c’est mieux
Tout cela nous rappelle que la construction d’un climat scolaire et la déconstruction des stéréotypes et des préjugés est une affaire collective mobilisant l’ensemble des membres de la communauté éducative et qui doit s’inscrire dans la durée.
Les relations avec les familles sont fondamentales. Il faut parvenir à dépasser les « méfiances réciproques ». Pour construire l’École de la réussite de tous les élèves, déjouer les auto-stéréotypes et élargir le spectre des orientations, une coopération renforcée avec les parents, particulièrement avec les parents les plus éloignés de l’institution scolaire, constitue un enjeu majeur. On ne « convoque » pas les parents mais on les invite et on examine ensemble les moyens de favoriser les apprentissages et le travail personnel en rendant le plus explicites les attendus et en valorisant les compétences parentales. On est à « parité d’estime » comme le disent les militants d’ATD Quart Monde. L’enjeu est double : rendre les enfants fiers de leurs parents et les parents fiers de leurs enfants.
Agir sur le climat scolaire, c’est agir sur l’ensemble de l’organisation de l’école :: stratégie collective, pédagogique et relation éducative, qu’est-ce que de vie à l’école, co-éducation, environnement partenarial, justice scolaire, prévention et gestion de violence et du harcèlement
Mixité sociale et scolaire une condition indispensable
Si on se limite à une vision très institutionnelle du climat scolaire. il y a un mot qui est absent : « mixité » (sociale et scolaire mais aussi de genre). C’est pourtant au cœur de la problématique même si cela ne suffit pas pour avoir un « climat scolaire” apaisé. Il faut cependant rappeler que pour « déconstruire les stéréotypes et les préjugés” notamment sociaux, un établissement mixte est toujours mieux qu’un établissement homogène socialement. En dehors des effets (pas totalement prouvés) sur la réussite scolaire, c’est surtout la prise en compte de l’altérité qui en bénéficie, tout comme les ambitions des plus modestes.
Il y a donc une question « cachée » : comment construire une vraie politique de mixité sociale ? Cette question prend un sens particulier dans le contexte actuel de publication des IPS et signature d’un vrai-faux protocole avec l’enseignement privé. Et même lorsque la mixité sociale existe, il fait aussi ne pas oublier la mixité scolaire. Et même quand le climat scolaire semble bon, il faut être vigilant : la construction d’une culture d’établissement véritablement inclusive n’est pas une chose aisée.
Je peux évoquer le cas de “mon” lycée où j’ai été prof pendant vingt ans (et élève quelques années auparavant). C’est un très gros lycée (2500 élèves aujourd’hui) dans un très beau cadre. Les élèves viennent de six communes différentes avec à la fois des quartiers sensibles et des communes plus pavillonaires). Mais s’il y a une mixité sociale qui arrive à la grille de l’établissement, la poursuivre dans la composition des classes est un vrai enjeu et une volonté pédagogique. De même, si les élèves sont fiers d’évoluer dans un parc de 16 hectares avec un château et de beaux bâtiments, ils ne s’en saisissent pas tous de la même manière tout comme pour les activités proposées (Maison des lycéens, CESC, évènements,…). C’est ce qu’avait très bien montré une étude réalisée par un stagiaire. Il ne suffit pas de mettre ensemble des élèves de milieux différents dans un même établissement pour que la cohésion et le sentiment d’appartenance se fasse… C’est en tout cas un travail de longue haleine.
Des valeurs à promouvoir face à des enjeux majeurs
Je l’ai souvent dit, l’éducation, c’est très politique : ce sont d’abord des valeurs mises en action.
Rappelons d’abord que toute la fonction de l’école est dans la déconstruction des prénotions qui permettent d’accéder à la connaissance et de former à l’esprit scientifique. On peut rappeler cette citation de Gaston Bachelard. « Face au réel, ce qu’on croit savoir clairement offusque ce qu’on devrait savoir. Quand il se présente à la culture scientfique, l’esprit n’est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l’âge de ses préjugés. Accéder à la science, c’est spirituellement rajeunir, c’est accepter un mutation brusque qui doit contredire un passé . » Gaston Bachelard, la formation de l’esprit scientifique (1938). On peut aussi se souvenir de la phrase d’André Giordan (qui vient de disparaitre) à propos des prénotions « faire avec pour aller contre »
En éduquant les élèves sur la nature des préjugés et des stéréotypes, ils peuvent donc prendre conscience de leurs propres croyances et attitudes préconçues. Cela favorise une réflexion critique et encourage les élèves à remettre en question leurs jugements hâtifs. C’est donc une éducation à l’esprit critique et à une démarche rationnelle qui est en jeu et qui permet de se déprendre des assignations et des déterminismes. C’est donc une condition de l’émancipation.
La déconstruction des préjugés et des stéréotypes permet aussi aux élèves de développer leur capacité à se mettre à la place des autres et à comprendre leurs sentiments et leurs expériences. Cela favorise des relations plus empathiques et renforce les liens entre les élèves. C’est d’une éducation à l’altérité dont il s’agit.
Ces évolutions sont essentielles car les enjeux sont importants
Notre société est marquée par la ségrégation et l’entre-soi. Cela est renforcé par les communautarismes et le rôle des réseaux sociaux. C’est St Thomas à l’envers : on ne voit que ce qu’on croit…La déconstruction des préjugés est alors cruciale même si comme le disait Einstein « il est plus facile de désintégrer un atome que de briser un préjugé
Le « chacun pour soi” n’est pas, ne peut pas être, une solution pour faire face à la crise climatique et les tensions planétaires. Pour affronter les enjeux de demain, la coopération et l’éducation à l’altérité sont des valeurs essentielles.
Mais c’est aussi un enjeu pour la pérennité de notre société. Le système éducatif français est un de ceux où l’origine sociale joue le plus dans la réussite scolaire. Si le destin se joue dès le berceau sous la menace des stéréotypes, si la promesse républicaine de l’émancipation et l’égalité des chances n’est pas tenue, c’est à un risque d’explosion sociale auquel nous risquons d’être confrontés.
C’est en pensant au jeune garçon de 1973 que je vous le dis…
Philippe Watrelot
Note : ceci n’est certainement pas un article scientifique. Je n’ai pas donné les références pour chacun des concepts que je développe et notamment dans la partie sur la docimologie. Mais je les tiens à disposition de qui le souhaite.