Quand les discriminations affectent notre santé psychique et physique

Émission radio avec Marylin Maeso, Rokhaya Diallo et Fatma Bouvet de la Maisonneuve, mai 2023

De quelle façon, le poison du racisme, de l’antisémitisme, de l’homophobie, du sexisme ou de la grossophobie produisent des effets délétères chez ceux qui en souffrent… Mal-être, stress chronique, baisse de l’estime de soi avec à la clé des pathologies diverses… Anxiété, dépression, addiction, inflammation chronique de l’organisme, maladies cardiovasculaires… Ce matin nous décryptons ce lien méconnu entre santé et discrimination, prouvé par la recherche scientifique… Nous essaierons également de comprendre les comportements discriminatoires pour mieux armer ceux qui en souffrent…

Emission en ligne (51 minutes) sur le site de Radio France

Les discriminations qui affectent le corps en profondeur

Il existe un lien entre subir une discrimination et un état de santé dégradé. Guillaume Fond explique qu’une étude publiée chez les jeunes médecins français en 2020 qui portait sur l’orientation sexuelle a démontré que « les victimes avaient des taux d’anxiété et de dépression plus élevés. Quand on ressent un stress psychique, cela augmente le taux de cortisol, et cela augmente la perméabilité de l’intestin qui va induire des troubles intestinaux« .

Des stéréotypes chez les soignants qui peuvent éloigner des soins

Dans sa pratique de médecin psychiatre, Fatma Bouvet de la Maisonneuve a constaté que : « Certaines personnes discriminées échappent aux soins, car elles savent que les soignants ont des préjugés. Des médecins projettent, par exemple, souvent que les personnes venues du Maghreb, ou de plus au Sud, ont vécu des épisodes de mariage forcé. Or tout le monde sait que l’inceste ou la pédocriminalité n’est pas réservée aux autres cultures que la nôtre. Un autre exemple : on demande aux patients leur carte CMU (couverture maladie universelle…) alors qu’ils sont cadres !« 

La philosophe et enseignante Marylin Maeso explique : « On ne peut pas dissocier ce qui se passe aujourd’hui dans la médecine de, par exemple, l’histoire de la Vénus Hottentot, ou de l’histoire de la médecine, qui a considéré les corps colonisés comme des corps à part. On peut aussi citer la Deuxième Guerre mondiale, où des expérimentations ont eu lieu sur des personnes juives pour concevoir des produits, mais aussi produire des expérimentations pseudo-scientifiques. Par ailleurs, la médecine a été pensée pour prendre en charge plus facilement les personnes masculines et les personnes blanches.« 

Le racisme devient une charge mentale

Marylin Maeso : « Il existe un racisme d’atmosphère. On ne peut pas se lever le matin, vivre une vie normale, aller au travail, prendre les transports, aller regarder un film sans être confronté au racisme. »

Une patientèle d’origine maghrébine épuisée par la charge mentale du racisme développe certains troubles. Fatma Bouvet de la Maisonneuve : « L’atmosphère générale fait que l’identité prend une place très importante et que les personnes ne sont plus vues comme une personne et comme une singularité. Par ailleurs, les personnes discriminées prennent des coups tous les jours. Certains médias sont décrits par certains patients comme « des armes de destruction psychique massive » tellement ils sont dans la représentation et dans l’entretien de stéréotype du Maghrébin, du Noir, ou de l’Asiatique. Le racisme devient une charge mentale quand vous devez devoir sans cesse lutter contre le stéréotype qu’on vous attribue, mais aussi d’une certaine façon de devoir y répondre, avec à la clé le développement de certains troubles comme une perte de confiance, des épisodes dépressifs, un sentiment de persécution jusqu’à la tentative de suicide.

Avec le déni du racisme, les personnes doutent de leur intelligence, doutent de leurs capacités. On pense pour eux, on vole leurs pensées. Cela relève de la perversion qui rentre dans votre tête et qu’on vous vole votre individualité. C’est extrêmement cruel.« 

Des conséquences sur la santé

La journaliste Rokhaya Diallo témoigne : « Quand on est une personne noire, dans un contexte français où tous les critères de beauté, et de représentation sont des critères blancs. Ce qui fait que moi, assez jeune, on a cherché à maîtriser les cheveux. On m’a appliqué des produits chimiques pour que j’aie les cheveux lisses.

Aujourd’hui, je porte mes cheveux frisés crépu avec fierté. Mais j’ai passé dix ans de mon adolescence et de ma jeune vie d’adulte à me défriser les cheveux. Aujourd’hui, on sait que ces produits-là sont toxiques et qu’ils provoquent des cancers chez les femmes qui les utilisent, et qui sont quasiment en majorité des femmes noires. Le prix de la normalisation, le prix pour se fondre pour ne pas subir de discriminations à l’emploi, par exemple est énorme.« 

Une somatisation importante

Guillaume Fond explique que pendant longtemps, la somatisation a été mal vue des médecins, car elle leur prenait beaucoup de temps pour rassurer, et que souvent, ils se retrouvent en échec, car ils n’identifient pas la cause réelle du stress. « L’une des plus grandes est le fait de ne pas être en adéquation, comme l’exemple de la petite fille noire qui voulait être blonde aux yeux bleus. Les manifestations sont diverses : tous les organes peuvent être touchés en fonction du terrain. Certains expriment leur anxiété au niveau des intestins, d’autres au niveau du cœur, avec des palpitations, d’autres plus au niveau des poumons, avec par exemple une augmentation des crises d’asthme, d’autres avec des migraines ou des céphalées de tension…

Les micro-agressions répétées peuvent conduite au phénomène des fractures de fatigue. Une agression psychique, est la même chose qu’une agression physique. Lors d’une exposition, le corps va s’adapter. Mais lorsque l’exposition a été précoce et répétée dans l’enfance et l’adolescence, cela créait des troubles de régulation du stress. L’anxiété d’anticipation va arriver entre les situations. Les victimes vont se trouver dans un état d’hyper vigilance et altérer le mécanisme du stress. Ce qui conduit à l’augmentation du cortisol ce qui a beaucoup d’effets sur l’organisme, notamment une dérégulation du sucre, mais aussi une augmentation de la perméabilité de l’intestin. Mais plusieurs organes vont dysfonctionner, ce qui créait de l’inflammation chronique, une réaction permanente face à une agression. C’est la définition de l’inflammation. Et cela conduit à des altérations des capacités de concentration, du sommeil et une augmentation de l’anxiété de la dépression.« 

Quelles solutions ?

  • Faire de la pédagogie. Fatma Bouvet de la Maisonneuve : « Il faut faire de la pédagogie aux Français, c’est-à-dire qu’on ne peut pas faire venir une population pour construire le pays et négliger le fait qu’elle ait fait des enfants et leur demander de partir ou ne l’est pas, de ne pas les considérer comme faisant partie prenante de la nation, ou alors les considérer comme la deuxième génération ce qui signifie déjà qu’on ne les reconnaît pas et qu’ils ne font pas partie de la nation, et c’est une façon de les mettre à l’écart.« 
  • Pour Rokhaya Diallo : « La première des choses serait de reconnaître le lien entre discrimination et santé, que l’on sorte du déni. Qu’on admette que certaines maladies puisent leurs racines dans l’histoire, qu’elles sont structurelles et qui doivent être comprises comme telles et donc enseignées, dans les formations des médecins.« 
  • Fatma Bouvet de la Maisonneuve : « Je dis à mes patients que maintenant ça suffit, qu’il faut relever la tête, qu’il faut redresser les épaules qu’ils sont riches de plusieurs cultures, de plusieurs civilisations, qu’ils ont toujours été utiles, qu’ils ont apporté quelque chose à ce pays, qu’ils font partie des solutions, qu’ils ne sont pas un problème et de cette façon, ils ressortent gonflés à bloc ! »
  • Pour Marylin Maeso : « Il est important d’armer intellectuellement les plus jeunes. Petite, je sais que j’ai vécu ce que j’ai traversé avec autant de violence, car je n’étais pas armée pour comprendre ce qui m’arrivait. Or, actuellement, j’appartiens à une association qui intervient en milieu scolaire, auprès d’élèves qui subissent le racisme. Et on a travaillé sur le thème des discriminations et sur les stéréotypes. Et on leur a donné des mots. Ils s’en sont saisis et ont témoigné de leur propre expérience. Ils se sont rendu compte qu’ils n’étaient pas isolés. Leur donner la parole pour nommer ce qu’ils vivent, leur permet de s’armer pour lutter contre les discriminations.« 

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