Pour le droit de vote dès la naissance
Entretien et tract de Clémentine Beauvois, 2024
Clémentine Beauvois, avec une plume joyeuse et pleine d’humour, déploie un argumentaire concret pour le droit de votes des enfants, « depuis la naissance ». Elle commence d’abord par démonter l’argument « enfantiste » d’une incompétence naturelle des enfants. Si elle rappelle que cette idée d’incomplétude spécifiquement enfantine reste la pierre angulaire de la justification de la domination adulte, l’autrice rappelle surtout comment le droit de vote en démocratie ne peut être justifié par la compétence car non seulement il ne l’est actuellement pas, mais aussi parce que c’est « à la fois grâce et malgré la potentielle incompétence des électeurs que le vote est démocratique ». Elle insiste par la suite sur « l’injure » à la démocratie qu’est l’exclusion des enfants du suffrage « universel », qui met « les régimes démocratiques en incohérence par rapport à leurs propres principes d’égalité ».
Entretien avec l’autrice sur Basta mag
Présentation sur le site Questions de Classe(s)
Présentation sur le site de l’éditeur
Pour le droit de vote dès la naissance, Tracts Gallimard n°59, septembre 2024, 44 pages, 3,90€
Clémentine Beauvais est enseignante-chercheuse en sciences de l’éducation à l’université de York (Grande-Bretagne) et autrice jeunesse.
Le reste du tract prend au sérieux une implication politique réelle et non sur le mode ludique des enfants. L’autrice insiste sur la dimension déjà politique des existences enfantines. « De l’embryon à l’adolescent, écrit-elle, les « mineurs » subissent à chaque instant les conséquences de mesures politiques prises par les adultes ». Ils et elles ont par conséquent une expérience réelle des politiques menées et il s’agirait de transformer notre idée de ce qu’est une « expertise politique » pour donner une centralité nouvelle à « l’expérience vécue ». Cette revendication s’appuie aussi sur un rapport critique aux politiques actuelles de participation des enfants, dont ces derniers ne sont pas dupes. Donner du pouvoir réel aux enfants, c’est aussi faire le pari que « mettre à disposition des enfants des manières réelles d’agir sur le monde, à commencer par ce geste pas seulement symbolique qu’est le vote, devrait en théorie réduire, plutôt qu’augmenter, leurs angoisses par rapport à la politique. »
Clémentaine Beauvois balaie ensuite l’argument d’un risque de démagogie spécifique à destination des enfants. Selon elle, le seul risque serait celui qu’entrainerait des conflits politiques intrafamiliaux. Toutefois, la violence parentale existe déjà et on peut estimer qu’en devant électeur·rice, le sort des enfants victimes de violence gagnerait en centralité politique.
Comme elle l’écrit au début du tract, les problématiques concrètes autour du droit de vote des enfants sont « gérables ». Elle repose alors quelques principes qui détermine le vote aujourd’hui, à savoir son caractère personnel, libre et secret. La liberté du vote reste facile à gérer : « certains enfants de quatre ans voudraient peut-être voter ; pour d’autres, ce désir n’adviendrait qu’à douze, quatorze ou quarante-cinq ans ». L’argument est aussi la réponse au contre-argument concernant le vote des bébés, si l’enfant ne veut pas voter, il s’abstiendra. « Le simple fait d’accorder le droit de vote a un du sens, même si personne ne s’en sert » rappelle-t-elle. Quant au caractère secret du vote, il serait possible d’inviter des dispositifs pour rendre les enfants autonomes lors du scrutin. Sur la dimension personnelle du vote, il est possible de trouver des manières d’autonomiser le temps et le lieu du vote de la famille ; en organisant par exemple des scrutins à l’école, les jours de semaine.
Le corrolaire d’un droit de vote élargi pour tous et toutes serait en outre de repenser une éducation riche au politique. Sur ce sujet, Clémentine Beauvais se veut modeste et cite ce qui se fait quotidiennement dans les classes. Elle évoque le dispositif de Bruno Latour des « cahiers de doléance » qui propose de partir d’un problème du quotidien pour remonter à ses causes politiques et sociales. Au sujet de la littérature qui est sa spécialité, l’autrice propose par exemple de « coupler une approche stylistique avec une approche matérialiste – qui s’intéresse par exemple à l’économie du livre […] en rendant visible l’impact esthétique des politiques publiques et des initiatives privées ».
La nécessité de rendre compréhensible les enjeux des débats politiques aux enfants rendraient en outre service à tous et toutes. Cela obligerait institutions et partis politiques à rendre plus accessibles débats, enjeux et programmes politiques. Elle prend notamment comme exemple central celui de la traduction en FALC – le français facile à lire et à comprendre. Elle souligne aussi l’enjeu pour l’éducation nationale « d’encadrer sans partisanisme cet afflux massif de nouveaux électeurs ».
Clémentine Beauvais conclut en prolongeant un concept qu’elle développe dans le tract : celui d’affinité entre adultes et enfants. Par affinité, elle désigne la possibilité d’une attention partagée aux affects et expériences des un·es et des autres. L’enfance, sphère improductive pour le capitalisme, permet aux adultes d’« échapper aux impératifs de productivité que nous commande le reste du monde ». L’attention aux enfants, « éminemment improductives tracent les contours de ce que pourrait être une hospitalité réelle, pour les enfants comme pour tous les citoyens ».
Notes
1 On trouve plusieurs brochures sur le sujet dès les années 2000 sur le site Infokiosques.net : https://infokiosques.net/spip.php?mot57 .
2 L’ouvrage sur l’inceste de Dorothé Dussy Le Berceau des dominations a réouvert ce champ dans les sciences sociales. Plus récemment, les livres Infantisme de Laelia Benoit (2023), Politiser l’enfance col. (2023) ou encore le recueil de textes du philosophe Tal Piterbraux-Merx La domination oubliée (2024) ont permis d’actualiser la pensée des rapports entre enfants et adultes. La revue Mouvements a aussi consacré un numéro à « penser la domination adulte » (2023). Il faut aussi noter le podcast « Les enfants peuvent-ils parler ? » de Clémence Allezard produit par LSD sur France Culture (2024).