Mauvaise langue

Documentaire en ligne de Nabil Wakim et Jaouhar Nadi, septembre 2024

L’arabe serait-il une « mauvaise langue » ? Alors qu’elle est la deuxième langue de France (avec 3 à 4 millions de locuteurs), elle n’est enseignée que dans 3 % des collèges et des lycées, moins que le russe et le chinois.

Pourquoi tant de Français de culture arabe en ont-ils honte ? Pourquoi, comment les enfants d’immigrés ont-ils ainsi perdu leur langue maternelle ? Comment, dès lors, la faire vivre, la transmettre ? Et pourquoi le moindre débat sur l’apprentissage de l’arabe à l’école républicaine nourrit-il tant de polémiques et de crispations ?

De ces questionnements, Nabil Wakim, désormais journaliste au Monde, a fait la matière d’un livre, L’Arabe pour tous, publié en 2020 aux éditions du Seuil. Aujourd’hui, il prolonge sa démarche de dévoilement de l’histoire et des tabous de la société française par le prisme de la langue arabe, en proposant ce passionnant documentaire à la première personne.

Film disponible gratuitement jusqu’au 22/12/2024 sur le site de France TV

Accompagné du réalisateur Jaouhar Nadi, il est parti confronter sa propre expérience à celle d’anonymes, de familles, d’enseignants, mais aussi de personnalités comme Najat Vallaud-Belkacem ou la comédienne Sabrina Ouazani. Ensemble, elles et ils font entendre une parole rare, précieuse, souvent tue, racontant le malaise intime à parler sa propre langue (ou à être incapable de parler celle de ses aînés), quand cette langue est l’arabe.

Filmant son propre quotidien comme celui de ses interlocuteurs (moments saisis sur le vif : repas partagés, échanges entre générations, promenades), Nabil Wakim et Jaouhar Nadi parviennent, à chaque instant, à tisser histoires intimes et histoire collective, expériences personnelles et destin national. Émaillés d’images d’archives autant que de photographies de famille, les récits se mêlent, se complètent, se ressemblent et traversent cinquante ans de décolonisation, d’immigration, d’intégration mais aussi, disons-le, de racisme plus ou moins décomplexé.

Parler (de) l’arabe, c’est parler de la société française dans son ensemble, de ses évolutions et de ses blocages, depuis l’arrivée de la « première génération », main-d’œuvre bon marché participant à la reconstruction du pays après la Seconde Guerre mondiale, jusqu’au vécu de la génération actuelle, marquée tout autant par l’euphorie de la parenthèse « black-blanc-beur » qui a suivi la Coupe du monde 1998 que par les tensions sécuritaires et identitaires nées des attentats du 11 septembre 2001.

Face caméra, les témoins racontent ce déracinement de la langue et le manque qu’il creuse en soi et autour de soi. « Je suis perçue comme Marocaine, parce que j’en ai le faciès, résume l’artiste Mariam Benbakkar, mais comme je ne sais pas parler arabe, je ne suis pas légitime… C’est comme si j’avais une demi-identité, comme si je n’étais pas complète. » Ni française ni arabe, incomplète : avec sensibilité et justesse, le documentaire réussit à s’emparer de ce manque intime pour en faire un enjeu commun, une volonté de « complétude », véritable plaidoyer pour une diversité reconnue, partagée et sereine. Parler une autre langue est une chance, non un handicap, encore moins une honte. « Avec l’arabe, on ferait de meilleurs francophones, des francophones plus cultivés, plus heureux, plus équilibrés », conclut Zeinab Zaza, professeure d’arabe à la retraite.

Film disponible gratuitement jusqu’au 22/12/2024 sur le site de France TV

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