Handicap et féminisme : luttes contre le validisme

Article de Mélina Germes, Ballast, décembre 2021

Politiser la question du handicap : les voix se multiplient pour briser le consensus moral qui l’entoure. Pour, autrement dit, en finir avec le paternalisme, le misérabilisme ou l’émotion caritative. Une notion permet ainsi de penser le système d’oppression qui infériorise les personnes handicapées et fait des personnes valides la norme à atteindre : le validisme.

Dans l’ouvrage collectif Feu ! Abécédaire des féminismes présents, coordonné par la philosophe Elsa Dorlin et récemment paru aux éditions Libertalia, la géographe, chercheuse et militante féministe Mélina Germes revient sur l’histoire des mouvements de luttes antivalidistes. Et, dans le même temps, pointe l’« impensé des collectifs et des manifestations » œuvrant pour l’émancipation. Nous publions son texte.

https://www.revue-ballast.fr/handicap-et-feminisme-luttes-contre-le-validisme/

Le validisme ou capacitisme désigne une forme de domination envers les personnes handicapées. Au-delà de l’archétype du « handicapé », le terme personnes handicapées (ou handi·es) inclut ici les malades chroniques, personnes aveugles, sourdes, neuroatypiques, neurodivergentes, dismorphiques… sans distinction de diagnostic. Le validisme est l’idéologie selon laquelle la norme de l’existence humaine est l’absence de maladie et d’infirmité. La capacité à être productif·ve est la condition pour mériter de (bien) vivre. Les enseignements et pratiques médicales sont centraux dans la catégorisation et la (dé)valorisation des existences handies. La médecine occidentale s’est donnée pour but de réparer les corps (et esprits) qu’elle considère comme défaillants, avec la finalité de leur (re)mise au travail. En même temps, les fictions et discours bienveillants parent les personnes handi·es de vertus exceptionnelles, parmi lesquelles le courage d’exister, les valorisant en tant que sources d’inspiration pour les personnes valides. Le validisme est, comme toute oppression, à double tranchant : il peut se faire bienveillant, tout en conservant son pouvoir de nuire. Cette notion révèle le caractère socialement et historiquement construit de l’assignation des handi·es à une condition dominée.

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En France, malgré la publication dès 2004 d’un texte de Zig Blanquer « La culture du valide (occidental) », il faudra attendre les années 2010 pour voir réémerger des mobilisations politiques collectives ancrant leurs discours et leur répertoire d’action dans la perspective des luttes d’émancipation des minorités dominées. Les réseaux sociaux jouent un rôle décisif dans la réémergence de ces mouvements en France, partiellement via la communauté francophone (Québec). Ainsi fleurissent les blogs (Elisa Rojas, Elena Chamorro), vlogs (Vivre Avec), les groupes, les réseaux affinitaires informels d’activistes de clavier. Grâce à cela apparaissent de nouveaux collectifs militants se réclamant de la lutte antivalidiste, à l’instar du Collectif lutte et handicaps pour l’égalité et l’émancipation (CLHEE) créé en 2016, de l’association Handi-Queer (2018), des Dévalideuses ou encore du Collectif pour la liberté d’expression des autistes (CLE Autistes), nés tous deux en 2019. Ils s’emploient à acclimater la notion de validisme dans le champ féministe, militant et dans l’opinion publique.

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Ouvrage collectif coordonné par Elsa Dorlin
736 pages – 20 € – Parution le 14 octobre 2021

https://www.editionslibertalia.com/catalogue/hors-collection/feu-abecedaire-des-feminismes-presents

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